ÉTUDIANTS EN GRÈVE : DE TOUT COEUR DERRIÈRE VOUS !

Hélas, cela ne saura tarder, il sera bientôt confronté à ceux qui auraient dû lui servir d’exemple. Voilà une chose qui préoccupe ma jeune conscience de père… Cela va de soi, il verra les églises au cœur de nos villes et je devrai lui expliquer ce qu’est la religion catholique. Il devra savoir que l’Église a préféré protéger ses voleurs d’enfance plutôt que les enfants de nos voisins. Je devrai lui expliquer ce qu’est un gouvernement et comment fonctionne notre démocratie. Je lui dirai avec regret que la démocratie est un idéal que ses prédécesseurs

ont perverti au point qu’il n’en reste plus que l’illusion d’un pouvoir décisionnel équivalant au moment où son papa le laissait choisir entre une brosse à dent bleue et une brosse à dent rouge. Je lui expliquerai qu’un premier ministre, c’est comme un papa qu’une maman n’a pas choisi pour son fils, et que ce papa se donne le droit de faire à peu près ce qu’il veut en toute impunité pendant 4 ans. J’ajouterai que lorsqu’il lui demandera pourquoi il fait telle ou telle chose, cet homme lui répondra qu’il a été choisi pour faire ça, même si c’est loin d’être le cas. Je devrai lui expliquer tout cela et bien d’autres choses encore.

Qui sait, peut-être devrai-je même lui dire pourquoi les poissons flottent à la surface de l’eau, pourquoi sa peau devient rouge quand il se baigne dans le lac, pourquoi rien ne pousse plus dans notre jardin et pourquoi il tousse quand il va jouer dehors. Mais la question que je l’entends poser et qui me hante chaque fois que je pose ma tête sur l’oreiller, c’est bien entendu : « Papa, pourquoi tu n’as rien fait? » (silence) Voyez-vous, il m’arrive encore d’espérer un monde meilleur, mais je devrai probablement me contenter de lui expliquer ce que maman veut dire quand elle parle des « rêves en couleur » de papa.

Je lui parlerai alors de cette idée folle que derrière Avaaz, le Printemps Arabe, Occupy Wall Street, Kony 2012 et d’autres mobilisations massives de la sorte se trouve l’espoir d’un monde où sa voix et la mienne peuvent se joindre à celles de milliards d’autres humains sur la Terre pour décider de l’importance qu’on devrait accorder aux divers enjeux planétaires. Le soir venu, s’il est futé et plus courageux que son père, il refusera les deux brosses à dents que je lui aurai tendues – la rouge et la bleu – et il demandera peut-être la brosse à dent électrique de papa. Peu importe ma réponse, je serai fier de lui.

Puis, s’il devait avoir la chance de vous voir, chers étudiants grévistes, je vous pointerais du doigt et je dirais à mon fils que même si son père ne croit plus en grand choses, il croit encore en ces jeunes gens qui se tiennent debout dans nos rues. Je lui dirais également que s’il désire vraiment quelque chose, qu’il se tienne bien droit et qu’il prenne exemple sur vous. Quoiqu’on en dise, il y a beaucoup plus en jeu dans le cœur des étudiants en grève que la question des frais de scolarité. Réduire ce qui est en train de se passer à une question de sous est ridicule. Plus ridicule encore est de prétendre, comme c’est le cas en santé, que la facture ne peut être refilée qu’aux utilisateurs de services ou aux contribuables de la classe moyenne.

Mais là n’est pas mon point. C’est qu’il s’agit aussi de nos enfants, non !? Quand j’entends les discours méprisants que plusieurs tiennent sur eux, quand je vois les forces de l’ordre les malmener, quand je ne vois pas leurs parents à leurs côtés, je ne peux m’empêcher de me rappeler qu’il y a bien peu de choses dans ce monde dont je suis fier. Au beau milieu d’un scandale du parti conservateur qui met en péril l’infiniment petit pouvoir politique auquel nous avons encore droit, soit celui d’apposer un « X » sur une carte électorale présentant 3 ou 4 noms de gens que je ne veux pas voir au pouvoir, voilà qu’on décide de déployer l’escouade antiémeute sur nos enfants, amis et voisins qui manifestent dans les rues?

Et on nous dit qu’on les a avertis 2 fois avant de leur cogner dessus? Pardon? J’avais l’habitude d’entendre ces mots sortir de la bouche de batteurs de femmes et d’enfants… pas de ceux qui ont participé au fait qu’un jeune homme qui aurait pu être le fils de n’importe qui d’entre nous perde l’usage d’un œil.

Je m’arrête ici.

Je tenais simplement à vous dire, chers étudiants grévistes, qu’en route pour aller visiter mes patients à l’hôpital ce matin, je souriais en pensant à vous et je me consolais de savoir qu’il y a encore des gens parmi nous qui pourront servir d’exemple à mon fils. Pour tout ce que vous représentez, je vous en remercie.

Sincèrement,

Éric Chiasson, médecin psychiatre

Source : LaMetropole.com

UN MÉDECIN INDIGNÉ